Pour commémorer les 16 jours d'activisme contre la violence sexiste, Nixon Ochatre, fondateur de l'initiative Amani et président de la section ougandaise du Mouvement pour le développement communautaire, invite Hellena Kasujja, directrice exécutive de l'initiative pour le développement communautaire intégré (CIDI), à une conversation. L'objectif est d'explorer les stratégies de lutte contre la violence fondée sur le sexe, en particulier dans le cadre du programme Right2Grow. Ils discutent de la manière dont, en Ouganda, les rôles des femmes dans les domaines de l'eau, de l'assainissement et de l'hygiène (WASH) et de la nutrition peuvent les exposer à de multiples formes de violence et réfléchissent aux approches que leurs organisations ont adoptées pour lutter contre la violence à l'égard des femmes. Cependant, avant d'approfondir cette discussion, il est impératif de répondre à une question fondamentale : pourquoi est-il si crucial de comprendre comment les inégalités entre les sexes affectent les femmes et les filles dans les domaines de l'eau, de l'assainissement et de l'hygiène (WASH) et de la nutrition?
Les femmes au cœur de l'action
Les femmes portent un fardeau disproportionné face à la faim, puisque 60 % des personnes souffrant de faim chronique sont des femmes et des filles. En outre, une nutrition inadéquate pour les femmes et leurs enfants est la cause sous-jacente de 3,5 millions de décès dans le monde. Il est prouvé que l'inégalité entre les sexes contribue à une nutrition inadéquate et à l'insécurité alimentaire chez les femmes et les enfants ; en effet, dans de nombreux contextes, les femmes n'ont qu'un pouvoir limité, voire aucun pouvoir, pour prendre des décisions clés sur la manière dont la nourriture et les autres ressources sont distribuées aux membres du ménage. En outre, les carences en micronutriments affectent de manière disproportionnée les femmes et les filles. En Ouganda, par exemple, l'enquête démographique sur la santé de 2016 a révélé qu'un tiers (32 %) des femmes âgées de 15 à 49 ans étaient anémiques, contre 16 % des hommes.
Au fil des ans, plusieurs programmes et projets en Ouganda ont visé à remédier aux inégalités entre les sexes au sein des ménages afin d'améliorer les moyens de subsistance et la nutrition ; cependant, leur impact n'a pas été pleinement réalisé. Associées au changement climatique, les inégalités entre les sexes risquent d'exacerber les situations déjà fragiles en matière d'alimentation, de nutrition et d'eau, d'assainissement et d'hygiène (WASH) dans de nombreuses communautés en Ouganda. L'impact profond des inégalités entre les sexes sur les résultats en matière de nutrition et d'eau, d'assainissement et d'hygiène ne peut être sous-estimé, étant donné le rôle central des femmes dans la fourniture d'une alimentation correcte et la collecte d'eau pour leur famille.
Pour approfondir cette question, le programme Right2Grow en Ouganda a lancé une étude menée localement qui a exploré la manière dont les dynamiques de genre influencent l'accès et l'utilisation des services WASH et de nutrition. La recherche a réuni un chercheur local, un expert local en plaidoyer et un détenteur de connaissances communautaires - appelés ensemble le "Trio Fantastico" - qui ont veillé à ce que les communautés soient au centre de la recherche et impliquées à tous les stades du projet.
Assumer des responsabilités dans les domaines de la nutrition et de l'eau, de l'assainissement et de l'hygiène
Nixon et Hellena ont tous deux joué un rôle central dans la recherche, Nixon assumant la position de détenteur des connaissances de la communauté et Hellena contribuant en tant qu'experte locale en matière de plaidoyer. L'étude a révélé que le sexisme est courant dans les domaines de la nutrition et de l'eau, de l'assainissement et de l'hygiène. Les femmes sont considérées comme les principales responsables de l'approvisionnement, de la préparation et de la fourniture de repas nutritifs aux membres de leur famille, tout en assumant la responsabilité de la collecte de l'eau et de la mise en place de pratiques d'assainissement et d'hygiène adéquates au sein du foyer. Pourtant, le pouvoir de décision est souvent relégué aux hommes, même dans des domaines où ils ne sont que très peu impliqués.
Dans les endroits où l'accès est limité, les rôles que jouent les femmes dans les domaines de l'eau, de l'assainissement et de l'hygiène (WASH) et de la nutrition les exposent à des injustices au niveau des ménages et des communautés, les impacts inégaux du changement climatique étant particulièrement préoccupants. Les participants ont noté que les faibles rendements agricoles résultant du changement climatique se sont avérés désastreux pour la dynamique entre les hommes et les femmes, exacerbant la violence fondée sur le genre. Dans certains cas, les conséquences du changement climatique ont été attribuées à tort aux femmes, en les accusant de ne pas s'être adaptées aux circonstances difficiles. En outre, la pénurie d'eau, aggravée par la sécheresse, oblige les femmes et les enfants à parcourir de longues distances pour s'approvisionner en eau, ce qui les expose au risque de violence sexiste, ainsi qu'à la faim, à la soif et à l'épuisement physique.
Il est inquiétant de constater que les normes sociales profondément ancrées en matière de violence sont si répandues que même de nombreuses femmes les considèrent comme acceptables.
Nombreuses femmes qui ont été victimes de violence sexiste ont atteint un stade où elles normalisent la violence, c'est devenu un mode de vie. Elles ont grandi avec.
Au-delà du binaire
En outre, Hellena souligne une dimension essentielle de l'impact de la violence fondée sur le genre qui va au-delà des rôles traditionnels de l'agresseur et du survivant. En effet, elle peut également influencer le bien-être et le comportement futur des enfants qui sont (indirectement) exposés à la violence. Cela devient crucial dans le domaine de la nutrition, car la recherche indique que l'expérience d'une mère qui s'occupe d'un enfant victime de la violence d'un partenaire intime peut affecter négativement les pratiques d'allaitement et est également liée à l'insuffisance pondérale à la naissance, au retard de croissance et à la malnutrition sévère chez ses enfants. En outre, il ne faut pas sous-estimer l'impact psychologique sur les enfants qui sont témoins de violences. Hellena : "Les enfants deviennent souvent invisibles. Pourtant, ceux qui ne guérissent jamais peuvent aussi devenir eux-mêmes des agresseurs". Cette observation met en évidence les conséquences considérables d'un traumatisme non traité, suggérant que lorsque les individus sont incapables de faire face aux effets psychologiques de la violence dont ils ont été témoins, ils risquent de perpétuer un cycle de violence à travers les générations.
Les communautés au centre
Pour mieux comprendre et aborder les perceptions et les normes socioculturelles relatives au genre, le rôle de l'engagement communautaire est essentiel. Selon Nixon, il est important de s'appuyer sur les structures communautaires existantes lorsqu'on travaille sur le changement des normes. Nous devons travailler avec les gardiens de la communauté qui sont respectés et auxquels la communauté fait confiance, et travailler avec eux en tant qu'agents du changement. À Amani, nous travaillons donc avec des ménages modèles qui ont adopté des pratiques alimentaires, nutritionnelles et d'eau, d'assainissement et d'hygiène respectueuses de l'égalité des sexes. Au cours des dialogues communautaires, ils promeuvent des normes égales et positives en matière de genre et favorisent ainsi l'apprentissage de pair à pair au niveau communautaire".
Hellena reconnaît que le travail sur le changement des normes a un impact considérable, mais elle souligne également l'importance des interventions autour de l'autonomisation économique. ‘’Outre le changement de normes, je tiens à souligner que l'émancipation économique peut vraiment changer la donne. Elle peut donner à une femme les moyens et la résilience nécessaires pour quitter une relation abusive et accroître son autonomie et son pouvoir de décision.’’
Impliquer les hommes et les garçons
Hellena et Nixon veillent toutefois à ne pas négliger les expériences des hommes et des garçons dans les discussions sur la violence fondée sur le genre. Tous deux ont été témoins de l'impact négatif des stéréotypes de genre sur la perception et l'estime de soi des hommes. Hellena, par exemple, a rencontré des cas où l'incapacité des hommes à subvenir aux besoins de leur famille a augmenté le risque qu'ils subissent des violences. Il est donc important d'encourager les hommes à appréhender leur propre bien-être de différentes manières, car ils négligent trop souvent les signes d'alerte et les indicateurs de leur propre bien-être mental et physique.
Il n'est pas facile de modifier des comportements et des traditions bien ancrés, en particulier dans les systèmes patriarcaux, afin de prévenir la violence liée au sexe. Réfléchissant aux résultats de la recherche menée localement, Nixon souligne que les hommes qui ont assumé des responsabilités traditionnellement dévolues aux femmes se sont heurtés à des résistances. Leurs pairs se moquent parfois d'eux et les traitent de "moins bons hommes". Comme l'a dit un participant à l'étude locale : "Récemment, j'ai sorti des ustensiles de ménage et j'ai commencé à les laver, les gens passaient à côté de moi et je ne pouvais pas savoir ce que pensaient les autres hommes. Ils disaient que la femme m'avait achevé (qu'elle était envoûtée), ce qui n'est pas le cas''.
Changement durable à long terme
Pour obtenir un changement durable et à long terme, les interventions au niveau communautaire doivent donc être accompagnées d'une programmation axée sur le changement au niveau sociétal. ''Nous devons comprendre l'écosystème qui entoure un survivant afin de lutter contre la violence, et nous éloigner d'une approche uniquement axée sur l'individu", déclare Hellena. Nixon ajoute: ''Je suis d'accord. L'autonomisation des femmes pris à part ne fonctionne pas, nous devons comprendre leurs antécédents et prendre en compte le ménage et les structures sociétales plus larges, qui doivent également faire partie du processus de changement. C'est pourquoi il est nécessaire d'adopter une approche systémique globale pour éliminer la violence fondée sur le genre."
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