Tout effort réussi pour mettre fin à la sous-nutrition doit donner la priorité à l'engagement, à l'inclusion et à l'autonomisation de tous les détenteurs de droits. Étant donné le rôle central des femmes dans la fourniture d'une alimentation adéquate à leur famille et dans la gestion de l'approvisionnement en eau des ménages, Right2Grow donne la priorité à leur participation à la prise de décision sur la nutrition et l'eau, l'assainissement et l'hygiène (WASH) à tous les niveaux. Cependant, l'égalité des sexes et des générations bien nourries ne peuvent être atteintes en donnant uniquement aux femmes les moyens d'agir. L'implication des hommes est également nécessaire.
"L'autonomisation des femmes n'est pas seulement un mot à la mode; elle est un catalyseur indispensable au progrès et au développement de la société, en particulier dans le cadre de la lutte pour l'égalité des sexes.’’ C'est ainsi que débute un article de Violah Nayebare, responsable de la communication et du plaidoyer pour l’organisatin The Hunger Project en Ouganda, à la suite de la conférence "2023 Women Deliver". Lorsque les femmes et les filles sont habilitées à faire valoir leurs droits, elles bénéficient d'une meilleure santé et d'une meilleure nutrition, et leur famille et leur communauté jouissent d'une meilleure qualité de vie. Cependant, pour de nombreuses femmes, le droit à l'alimentation, à l'eau et à la nutrition n'est toujours pas une réalité.
Sous-alimentées et oubliées
Les femmes jouent un rôle essentiel dans les systèmes alimentaires mondiaux et sont la pierre angulaire de la sécurité alimentaire, nutritionnelle et hydrique de leur famille. C'est à elles qu'incombe la responsabilité première d'acheter et de préparer la nourriture pour leur foyer et d'aller chercher l'eau pour l'usage domestique. Paradoxalement, ce sont elles qui, avec les enfants, souffrent le plus de la dénutrition. . En fait, les femmes et les filles représentent 60 % de toutes les personnes sous-alimentées dans le monde.[1] Dans les situations de pénurie alimentaire, les femmes mangent souvent en dernier et en moins grande quantité, et elles peuvent même être limitées dans la consommation de certains types d'aliments riches en nutriments en raison de tabous alimentaires liés à leur sexe.[2] En outre, ce sont elles qui assument le plus gros du travail de collecte de l'eau et du bois de chauffage, ce qui non seulement prend du temps mais les expose également à des risques accrus de violence.
Right2Grow reconnaît et défend le rôle essentiel des femmes en tant que travailleuses, soignantes et dirigeantes dans la construction d'un avenir plus sain pour elles-mêmes et leurs familles. Le programme adopte une série d'outils de transformation du genre qui aide les femmes à revendiquer leurs droits en matière d'eau, d'assainissement et d'hygiène et de nutrition, tout en leur offrant des plateformes pour se faire entendre. Car lorsque les femmes mènent des actions de plaidoyer, c'est toute la société qui en bénéficie.
Lutte contre la dénutrition au Sud-Soudan
Au Sud-Soudan, les partenaires de Right2Grow sont confrontés à une société très patriarcale, où les rôles des hommes et des femmes sont définis de manière très rigide. Florence Paul se souvient encore très bien de sa première visite de projet dans la région d'Akobo/Pibor au Sud-Soudan, une zone d'environ 260 000 habitants près de la frontière éthiopienne. Florence travaille pour CIDO, une organisation dirigée par des femmes qui est l'un des sept partenaires de la société civile travaillant ensemble sur Right2Grow au Sud-Soudan. Akobo/Pibor, nous dit Florence, est une communauté pastorale, caractérisée par des conflits intercommunautaires, la pauvreté, les vols de bétail et les inondations. Ces défis exacerbent considérablement le risque de dénutrition et contribuent à l'insécurité alimentaire dans la région.
Les femmes d'Akobo/Pibor ne sont pas libres de parler devant les hommes et sont obligées de se tenir à l'écart pendant que les hommes prennent des décisions. En outre, les croyances culturelles leur interdisent de manger certains aliments, comme le poisson, les œufs ou certaines parties du poulet, parce qu'elles craignent pour leur santé ou le bien-être de leurs enfants à naître. En conséquence, les femmes et les filles sont deux fois plus susceptibles de souffrir de dénutrition que les hommes et les garçons. Florence, qui est elle-même une femme, raconte les défis auxquels elle a été confrontée dans son travail: "Je me souviens de m'être tenue devant les hommes dans l'un des villages de la région et de ne pas avoir été prise au sérieux.’’
Je me souviens de m'être tenue devant les hommes dans l'un des villages de la région et de ne pas avoir été prise au sérieux.
La preuve par l'exemple
Démystifier les mythes qui entourent certains aliments n'a pas été facile, se souvient Florence: "Je connaissais un certain type de poisson dont les femmes ne devaient pas manger la tête, car on disait qu'il portait malheur. Lorsque j'ai mangé ce poisson devant les femmes, elles ont été surprises et ont craint que je ne puisse pas avoir d'enfants ou que je tombe malade. Elles ont été encore plus surprises lorsque je leur ai dit que j'avais trois enfants en bonne santé. Finalement, ils ont compris qu'il ne s'agissait que d'idées fausses et qu'elles étaient totalement infondées. Nous leur avons appris à parler à leurs maris et à leur expliquer les avantages de ce type d'alimentation. Elles m'ont prise comme exemple: ‘Regardez, même cette dame mange la tête de ce poisson et il ne lui est rien arrivé’. J'étais leur preuve vivante.’’
Changer les normes sociales qui influencent les pratiques alimentaires des femmes et leurs comportements en matière d'alimentation nécessite une approche holistique. Le CIDO collabore avec diverses parties prenantes pour traiter les liens entre les questions de nutrition, d'eau, d'assainissement et d'hygiène et les questions de genre. Selon Robert Sochi, coordinateur du programme du CIDO, il s'agit d'un "voyage à long terme, cohérent et collectif" avec d'autres partenaires de développement, les autorités locales et le gouvernement national. Florence reconnaît qu'une approche intégrée est la seule façon d'avancer: "Une approche unique peut faire peu de différence dans la réduction de la dénutrition, il est donc impératif de s'attaquer à la fois à la nutrition et à l'eau, à l'assainissement et à l'hygiène, ainsi qu'aux questions de genre.’’
Petites actions réalisables
Florence est particulièrement fière de la création de 50 groupes de soutien de mère à mère. Ils offrent un lieu sûr où les femmes enceintes et les jeunes mères peuvent partager leurs expériences et recevoir des informations cruciales sur l'amélioration de la nutrition et des pratiques WASH pour soutenir la santé de leurs familles. ''60% des mères formées ont créé des jardins potagers dans leurs foyers pour les aider à utiliser les légumes disponibles localement afin d'améliorer leur équilibre alimentaire et de lutter contre la sous-nutrition,’’ explique-t-elle avec enthousiasme.
Elle mentionne également la représentation et le leadership des femmes au sein des comités d'usagers de l'eau, dont le rôle est d'entretenir les sources d'eau de la communauté. Right2Grow a pu faire pression pour que les femmes soient incluses dans ces comités, traditionnellement dominés par les hommes. Lorsque les femmes sont impliquées en tant que partenaires égaux dans la gestion des ressources en eau, les services et les installations WASH répondent mieux à leurs besoins spécifiques. "L'intégration des femmes leur a permis de s'attaquer aux problèmes liés à l'eau, car ce sont elles qui doivent parcourir les distances les plus longues pour aller chercher de l'eau potable. Elles sont désormais en mesure de soulever des questions WASH qui les concernent directement, telles que l'hygiène menstruelle, qui n'étaient pas entièrement abordées ou discutées auparavant."
Faire de la bonne nutrition la responsabilité de tous
Reconnaissant que la nutrition n'est pas seulement une question féminine, CIDO veille à ne pas négliger les expériences des hommes et des garçons au cours des activités du projet. Dans de nombreux ménages, les hommes prennent les décisions clés concernant les cultures et le bétail à élever. Ils décident souvent de ce qu'il faut vendre, de la quantité à stocker et des aliments à acheter. Ils sont donc bien placés pour s'attaquer à la dénutrition dans leur propre foyer et dans la communauté au sens large.
Grâce à la formation et à l'accompagnement, CIDO s'efforce d'augmenter l’appréciation de la contribution des femmes au travail quotidien et de faciliter la discussion sur la manière dont la charge de travail peut être partagée plus équitablement. Les groupes de soutien aux hommes ont encouragé ces derniers à revoir les stéréotypes fondés sur le sexe et à modifier leur comportement. Florence explique: ''Nous encourageons les hommes à devenir des agents du changement tout en tenant compte des voix des femmes afin de prévenir la violence à l'égard des femmes et des filles. Nous voulons rapprocher les hommes de la réalité et leur montrer leurs attitudes et la manière dont ils traitent les femmes et les filles.''
En conséquence, les hommes ont commencé à adopter des habitudes positives, comme participer à l'alimentation de la famille et soutenir leurs femmes dans l'entretien des jardins potagers. En outre, CIDO a formé les communautés à reconnaître les signes de dénutrition et à aller consulter dans les centres de santé au besoin. ’’Les hommes et les femmes travaillent désormais ensemble lorsque les enfants tombent malades ou présentent des signes de dénutrition. Les hommes accompagnent désormais leurs femmes dans les centres de santé et les centres de stabilisation nutritionnelle où sont traités les cas de dénutrition sévère chez les enfants de moins de cinq ans. Les hommes vont même jusqu'à chercher eux-mêmes des soins médicaux pour leurs enfants et les emmènent à l'hôpital lorsqu'ils sont malades, ce qui n'arrivait jamais auparavant."
Construire sa propre table
Pour que chacun puisse jouir de son droit à mener une vie saine et productive, des changements de mentalité et de comportement sont nécessaires à tous les niveaux, du ménage à l'État. Le programme Right2Grow en Ouganda illustre la manière dont les organisations de la société civile (OSC) et les organisations communautaires (OC) ont complété leurs efforts de sensibilisation de la communauté par des actions de plaidoyer afin d'amener les réalités locales à la table des discussions. Violah, de l’organisation The Hunger Project en Ouganda, explique: "Nous essayons de faire entendre la voix des communautés touchées, y compris des femmes, et de faciliter leur participation dans les espaces de plaidoyer pertinents, du niveau local au niveau national. De cette manière, les partenaires de Right2Grow contribuent à garantir que les préoccupations des femmes influencent les budgets et les politiques du gouvernement.’’
Lorsqu'elle pense à une dirigeante inspirante qui a revendiqué son espace et exigé l'inclusion des femmes dans les processus décisionnels, Violah évoque immédiatement Shilla Adyero. Shilla est la directrice de Lutino Adunu, une organisation communautaire basée dans le district de Nwoya, qui se consacre à répondre aux besoins éducatifs et communautaires des populations résidant dans le nord de l'Ouganda. Elle est également présidente de la plateforme de nutrition des OSC dans le district de Nwoya - une structure établie par Right2Grow pour coordonner les stratégies, les programmes et les ressources des OSC avec les plans de nutrition du district. Shilla travaille sans relâche pour faire entendre les voix locales dans les espaces de prise de décision. Lors de l'un de ses engagements, elle a déclaré avec audace: "J’aime semer letrouble, mais de façon sensée. Si vous ne m'invitez pas à votre table, je créerai la mienne. Et je ferai beaucoup de bruit."
Si vous ne m'invitez pas à votre table, je créerai la mienne.
Au sein de la plateforme nutritionnelle, Shilla a donné la priorité à la collecte de données pour surveiller l'état nutritionnel de la communauté et évaluer la qualité de la prestation des services WASH et nutritionnels. Consciente du manque de données probantes pour éclairer les décisions financières, elle a rédigé un document de synthèse soulignant la nécessité d'allouer des fonds à un audit nutritionnel. La présentation de son document lors du dialogue budgétaire du district a donné des résultats significatifs: le district s'est engagé à consacrer 10 % de ses recettes locales au financement de l'audit. ’’Des leaders comme Shilla nous montrent que les femmes ont non seulement une voix puissante, mais aussi le pouvoir d'apporter des contributions significatives et pertinentes au développement et à l'obtention de meilleurs résultats en matière de nutrition," déclare Violah.
Un avenir brillant et équitable
Si nous ne nous attaquons pas aux inégalités fondamentales entre les hommes et les femmes dans les domaines de l'alimentation, de l'eau, de l'assainissement et de la nutrition, nous ne parviendrons pas à améliorer durablement la sécurité alimentaire des hommes, des femmes et surtout des enfants. Les gouvernements locaux devraient promouvoir activement les approches communautaires qui impliquent les femmes dans des rôles de leadership, en reconnaissant leur potentiel à apporter des changements positifs dans les habitudes alimentaires, la santé et les pratiques d'hygiène. Parallèlement, des efforts devraient être déployés pour encourager l'engagement des hommes et des garçons en tant qu'alliés dans la lutte contre la dénutrition et dans l'autonomisation des femmes, en reconnaissant que l'égalité des sexes profite à tous.
Selon Violah, il est impératif que toutes les parties prenantes reconnaissent le lien profond qui existe entre la nutrition, l'eau, l'assainissement et l'hygiène et les questions de genre. Les décideurs politiques devraient donc formuler des politiques qui soutiennent des approches intégrées visant à relever ces défis interconnectés en vue d'un développement durable. En fin de compte, souligne Violah, nous ne pourrons mettre fin à la sous-nutrition que si nous donnons la priorité aux femmes et si nous les incluons dans le processus décisionnel: "Nous devons nous engager à fournir le soutien et les opportunités nécessaires aux femmes pour qu'elles s'épanouissent en tant que soignantes et leaders dans la construction d'un monde plus sain et mieux nourri pour toutes et tous. En défendant l'autonomisation des femmes, nous semons les graines d'un avenir plus radieux et plus équitable."
[1] UN Women (2012). “Facts and Figures.” https://www.unwomen.org/en/news/in-focus/commission-on-the-status-of-women-2012/facts-andfigures
[2] Fonjong, L. (2022). The Role of Women’s Nutrition Literacy in Food Security: The Case of Africa.
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